Les masques de Vallauris en céramique
Juliette Derel
Plusieurs céramistes de Vallauris se sont lancé dans la réalisation de masques d'inspiration africaine, principalement dans les années 50 et 60. Parmi eux, on trouve Capron, Voltz, et surtout, Jaque Sagan. D'autres se sont frotté à l'exercice de façon épisodique.
D'où vient cette soudaine inspiration ?
Probablement de l'installation de Picasso à Vallauris, dont on supposait qu'il s'était inspiré de ce qu'on appelait à l'époque "l'art nègre". La première manifestation bien connue de cette supposée référence, est le tableau "Les Demoiselles d'Avignon" (dernier titre d'une grande peinture réalisée à Paris en 1907; voir Wikipedia : ". Les visages des Demoiselles de droite se confondent en effet avec des masques africains et évoquent des femmes atteintes de syphillis osseuse (le peintre qui avait une peur légendaire de la maladie et de la mort, ayant contracté cette MST) au stade ultime de leur déformation. Une étude de 1907 pour le tableau montre qu'initialement un étudiant en médecine (il représente les officiers publics qui font des visites médicales à but hygiénique dans les bordels) entre par le bord gauche et porte un crâne, symbole de la mort.")
Par ailleurs, on connaît la fameuse répartie de Picasso : "L'art nègre, connais pas". Certains ont cru y déceler de l'humour, d'autres pensent que c'est là l'expression de la pensée véritable du peintre.
Il n'est donc pas du tout certain que Picasso ait jamais été influencé par ce que nous appelons aujourd'hui les "arts premiers"; mais comme cela était généralement admis, il n'est pas étonnant que, dans la ville où le peintre avait momentanément établi ses activités, certains aient cru "dans le vent" de s'intéresser à la question ; je ne voudrais pas aller trop loin en faisant de la psychologie de bazar, mais peut-être y avait-il un secret espoir : "l'art nègre a réussi à Picasso, alors, pourquoi pas à moi"...
Une autre question se pose : à quels types de masques se réfèrent les divers artistes, peintres et céramistes? A mon sens, à aucun; ils
réalisent avant tout des représentations imaginaires, et ne cherchent nullement à imiter un masque Dan, ou Senoufo, ou typique d'un des très nombreux groupes ethno-culturels à l'origine de productions particulières et identifiables comme telles.
A ce propos, voir le livre de Jean Laude , "La peinture Française et l'Art Nègre" : "L'ouvrage de Jean Laude, magistralement documenté et riche de références aux « arts premiers », analyse les rapports complexes entre la peinture française et l'art africain au début du siècle dernier. Au terme de son étude, l'auteur évoque la fameuse déclaration de Picasso : « L'art nègre ? Connais pas ». Il précise : « Il n'y a pas d'art nègre, mais une manifestation du génie humain qui, à la suite des circonstances, s'est exprimée et développée en Afrique ». Jean Laude règle ainsi son sort au mythe du masque fang qui, selon Vlaminck, aurait, à la fois, engendré le cubisme et favorisé la naissance du fauvisme. Il ne nie certes pas l'influence que l'Afrique exerça sur les peintres entre 1905 et 1914 —années décisives —, mais il insiste surtout sur l'idée que la fascination et la passion pour l'« art nègre » furent d'autant plus vives qu'elles répondaient à la curiosité esthétique de quelques peintres capables, à l'époque, de saisir et d'intégrer dans leurs propres recherches picturales les caractéristiques formelles des statuettes et des masques africains." (Présentation de l'ouvrage).
Ayant eu moi-même à m'intéresser au sujet (mémoire de DEA à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, "Le commerce de l'Art Nègre à Paris", 1981), je crois pouvoir affirmer que ces objets ne prétendent nullement se référer à tel ou tel modèle original, et sont plutôt le fruit de l'imagination de leurs auteurs.
Voltz
Jaque Sagan
Jaque Sagan
Picasso, "Les Demoiselles d'Avignon"
Hélène Ugo